Le point sur les derniers arrêts de la Cour de cassation sur les congés payés
La Cour de cassation, la plus haute juridiction judiciaire française, a rendu deux arrêts majeurs ce 10 septembre 2025.
Ils seront publiés dans son rapport annuel, fait soulignant que la Cour de cassation en est fière, ou qu’ils sont particulièrement importants.
Ces décisions, toutes deux issues de la chambre sociale de la Cour, visent à aligner le droit français sur le droit européen en matière de congés payés et de temps de travail. Concrètement, elles apportent deux changements notables pour les salariés :
un salarié tombant malade pendant ses vacances aura désormais le droit de reporter ses jours de congé (communiqué de la Cour)
un salarié qui prend un jour de congé dans la semaine ne sera plus pénalisé sur le calcul de ses heures supplémentaires (communiqué de la Cour)
Cela faisait longtemps que ces décisions étaient attendues, on en parlait déjà en 2018. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») était connue depuis longtemps et certaines cours d’appel appliquaient déjà d’elles mêmes d’office ces règles. Elles sont cependant maintenant consacrées dans le droit français et il devient quasiment impossible pour une entreprise de ne pas les appliquer.
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Maladie pendant les congés : le droit de reporter ses vacances(Cass. Soc. - 10 septembre - N°23-22.732)
Imaginons la situation d'un salarié qui part en congé annuel et qui, en plein milieu de sa semaine de vacances, développe une gastro-entérite. Jusqu'à présent, le droit français considérait que, sauf disposition plus favorable prévue par l'entreprise, ces jours d'arrêt maladie pendant les congés n’avaient pas vocation à « écraser les jours de CP ».
Or, le droit européen a une philosophie différente. Depuis plusieurs années, la CJUE affirme que les travailleurs ne doivent pas perdre leur droit à congé annuel payé à cause d'une maladie survenant durant ces congés. Au niveau de l'Union, les deux types de congés ont des finalités bien distinctes :
Le congé annuel payé a pour objectif de permettre au salarié de se reposer et de profiter d'une période de détente et de loisirs. C'est un droit fondamental reconnu par la Charte des droits fondamentaux de l'UE et la directive européenne sur le temps de travail.
Le congé maladie a pour but de permettre au salarié de se soigner et de se rétablir d'un problème de santé. Ce sont des jours pendant lesquels le salarié est indisponible en raison de sa santé, et non en vue de repos ou de loisirs.
Ces deux droits n'ont donc pas la même finalité, et ils ne devraient pas se cannibaliser l'un l'autre.
Donc, si un problème de santé empêche un salarié de profiter de ses congés payés, il serait injuste que ces jours de vacances soient perdus.
C'est pourquoi la CJUE a posé le principe que tomber malade durant les congés payés ne doit pas priver le travailleur de son droit à congé et doit pouvoir les reporter. Plusieurs pays européens appliquent déjà ce principe, et la Commission européenne a même lancé en 2025 une procédure d'infraction contre la France à ce sujet, estimant que la loi française n'était pas conforme à la directive 2003/88/CE sur l'aménagement du temps de travail mais visiblement le ministère du travail comptait sur la jurisprudence pour changer la règle.
Cet arrêt de la Cour de cassation change donc la donne.
La question posée à la Cour était simple : un salarié qui tombe malade pendant son congé a-t-il le droit de prendre plus tard les jours de vacances qu'il n'a pas pu passer librement à cause de sa maladie ?
La Cour de cassation répond clairement oui.
Désormais, il est donc possible d’annuler ses CP avec un arrêt maladie postérieur.
Et ironie finale : cet arrêt maladie permettra au salarié d’accumuler des CP en application de la précédente jurisprudence de la Cour de cassation en date de septembre 2023.
Congé payé et heures supplémentaires : ne plus perdre d'argent en prenant des congés (Cass. SOC. - 10 septembre 2025 - n°23-14.455)
La seconde décision, rendue le même jour porte sur l'impact des congés payés sur le calcul des heures supplémentaires hebdomadaires. En France, la durée légale du travail est de 35 heures par semaine et toute heure accomplie au-delà de cette durée est une heure supplémentaire et le décompte se fait par semaine civile (du lundi au dimanche).
Cependant, la loi et la jurisprudence traditionnelle précisaient qu'on ne compte dans ces 35 heures que le "travail effectif" : autrement dit, seulement les heures où le salarié travaille réellement. Les périodes non travaillées (CP, arrêt maladie…etc.) étaient à exclure du décompte hebdomadaire pour le déclenchement des heures supplémentaires.
C’est ce qu’en paie, on appelait les « heures compensées ».
Exemple d’un salarié dont l’entreprise décompte les CP en jours ouvrés (7H / CP) et qui travaille 8 heures du lundi au mercredi (21 heures de travail effectif) puis pose 2 jours de congés le jeudi et le vendredi (14 heures de congés payés) :
Avant : Le salarié était payé 38 heures au taux normal
Maintenant : Il sera payé 35 heures au taux normal et 3 heures au taux majoré de 25 %.
⚠️En cas d’un décompte des CP en jours ouvrables et non en jours ouvrés, un CP est valorisé 5,83 heures pour un salarié aux 35 heures.
Dans l'affaire jugée par la Cour de cassation, un salarié demandait à réintégrer ses jours de CP dans le seuil hebdomadaire de déclenchement des heures supplémentaires, ce que la Cour d’appel avait refusé.
Cette situation, si on la regarde du point de vue européen, est problématique. En effet, le droit de l'UE interdit toute mesure susceptible de dissuader un salarié de prendre ses congés payés. Or, le fait de subir un désavantage financier parce qu'on a pris un jour de congé est typiquement le genre de chose qui pourrait inciter un employé à renoncer à prendre des vacances.
La CJUE l'a illustré dans plusieurs arrêts, notamment en jugeant qu'un travailleur ne doit pas perdre des avantages financiers liés à son travail (primes, commissions, heures majorées, etc.) du seul fait qu'il exerce son droit aux congés.
Jusqu'en 2025, la Cour de cassation avait maintenu l'application stricte du code du travail : le seuil de 35 heures était intangible, seuls les temps travaillés comptaient, il était donc quasiment impossible de générer des heures supplémentaires une semaine où un salarié était parti en vacances.
L'arrêt du 10 septembre 2025 renverse cette logique. Désormais un salarié dont le temps de travail est décompté à la semaine doit inclure ses jours de CP dans son temps de travail pour apprécier son seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
⚠️La Cour de cassation précise que seront uniquement concernés les salariés dont le décompte du temps de travail se fait sur la semaine :
En d’autres termes, tout autre mode d’aménagement conventionnel du temps de travail (ex : annualisation, trimestrialisation, sur 8 semaines…etc.) qui modifierait la période de décompte des heures supplémentaires ne sera en principe pas concerné par cette nouvelle disposition.
Cela risque de créer une course à l’échalotte à l’annualisation dans les entreprises.
De votre côté, n’hésitez pas à dénoncer maintenant votre accord d’aménagement du temps de travail si vous en avez un. Cela prend 15 mois à être effectif donc autant le faire maintenant.
💡Les arrêts maladie et autres périodes de suspension de contrat de travail continueront à être assimilés comme des heures ne concourant pas au seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Conclusion
Ces deux décisions illustrent comment le droit européen peut rattraper le droit français, même plusieurs années après.
De votre côté, n’hésitez pas à vérifier que votre entreprise compte réellement appliquer ces nouvelles jurisprudences, et quand est-ce que le nouveau paramétrage de paie sera effectif. Faites-le notamment par exemple par le biais d’un petit point en CSE (« Information sur les arrêts de la Cour de cassation du 10 septembre 2025 ») pour voir ce que l’employeur a à vous dire dessus. Cela fera aussi preuve de votre réactivité et de votre sérieux suite à des évolutions législatives ou jurisprudentielles.